Le champ de bataille
Y a une histoire qui fait dodo dans mon ordi. Elle roupille depuis 3 ans déjà!
Elle n’a pas de - FIN -. Je ne crois pas pouvoir la terminer… comme je l’ai commencée. J’avais la tête embourbée, un vrai champ de bataille. C’était avant la grande révolution de 2008. « Cessez le feu! Je me rends. » Tel un soldat, j’écrivais dans un carnet, mes percées face à l’ennemi. Un journal qui allait me rappeler les jours, recluses dans mes tranchées.
J’ouvre le fichier une fois tous les trois mois… comme un pèlerinage. Je relis mon histoire, j’ose changer quelques virgules et… j’ai le vertige.
Je reçois régulièrement des courriels, de gens, qui cherchent à se comprendre. Ils hissent le drapeau blanc, épuisés de livrer bataille. Chaque fois, je me sens désarmée! Je pourrais concocter un livre : « Les recettes du succès » ou autres formules motivantes et éclairantes, mais c’est impossible. Ce n’est pas moi! Je n’ai rien à vendre. Pas de concept, que le gros bon sens. Je n’ai que mon histoire et ce qu’elle vous inspire.
Pour l’instant, je suis convaincue que c’est suffisant.
En voici un p’tit bout :
La secrétaire tapait sur son clavier d’ordinateur sans se soucier le moindrement du brouhaha qui régnait dans la clinique médicale. Il était pourtant difficile de ne pas être attiré par ce qui se tramait dans le coin droit de la salle d’attente. Au sol, un petit autobus scolaire venait de prendre à son bord deux bonshommes parachutés du haut des airs par un petit garçon de 3 ans. Son frère, lui, dirigeait son camion de pompier vers une mini ferme Fisher Price qu’il venait tout juste d’installer dans le coin gauche de la pièce. Ça urge, ça brûle. Tellement que tout d’un coup, le bambin décide de donner un grand coup et d’y aller avec un effet sonore du genre digital surround, mais avec des haut-parleurs de mauvaise qualité.
-Pin pon pin pon pin pon….. OUIIIIIIINNNNNNNNNOOOOOOOOONNNNN
Vous vous imaginez bien que le spectacle n’a duré que quelques secondes. C’est sa mère qui a sonné l’heure de l’entracte. Elle l’a empoigné par le bras et en un temps trois mouvements, l’élément perturbateur a été rassis fesses serrées et babines pendantes sur sa chaise. Le spectacle était terminé et personne n’a osé demander l’heure de la prochaine représentation.
Le rappel à l’ordre maternel n’avait nullement impressionné le p’tit homme. Après avoir jeté un rapide coup d’œil à la scène, son attention s’est tout de suite redirigée sur le mini bus. C’est qu’il y a un petit panneau rouge sur le côté qui se plie, déplie, plie, déplie….
La salle d’attente était remplie de femmes enceintes. Si l’on se fiait à la grosseur des bedaines, elles devraient toutes se revoir à l’hôpital d’ici une semaine ou deux. Certaines sont accompagnées, mais la plupart sont seules. C’est une clinique spécialisée en obstétrique.
Le niveau de décibels n’avait pas diminué. Un poupon de 5 mois avait pris la balle au bond et était en train de s’époumoner. L’alerte incendie déclenché par l’apprenti pompier avait sortie de son sommeil ce beau petit bonhomme. Non, mais c’est dur dur d’être un bébé. Haaaaaaaa, à chacun son stress.
Parlant de stress, personne jusqu’à maintenant, n’avait pris la peine de me dire qu’il fallait absolument une montre pour voir un docteur. Les autres, je veux dire, les autres patientes, elles en ont toutes une. Fascinant! Je dirais qu’à peu près toutes les dix minutes, elles retroussent la manche de leur chandail pour vérifier l’heure.
Moi je me dis qu’on ne va pas être vus plus rapidement par le médecin même si on passe son temps à scruter la progression des aiguilles du cadran. Y en a d’autres qui soupirent aux 10 minutes, mais la technique n’est pas éprouvée. Remarquez que ça soulage peut-être. Taper du pied ou branler de la patte, ce sont également de très bons exutoires. Au fond, ces manœuvres corporelles ne servent qu’à étaler notre impatience sur la place publique.
J’ai l’air bien sage, mais sachez que je me suis moi-même et à plusieurs reprises vautrée dans le stratagème. Comme si le temps allait passer plus vite.
- Julie Grenon
Ha c’est mon médecin qui m’appelle.
Qu’est-ce que je vais lui dire? Par où vais-je commencer ? Je suis conne, j’ai pas pris le temps de me préparer. Docteur je me suis effondrée sur les lieux de mon travail? Docteure, j’ai mal au cœur? Ou encore, docteure, je ne sais pas ce que j’ai mais j’ai mal aux bras depuis quelques mois.
C’est finalement ça qui est sorti en premier: mal au bras.
- Mal aux bras?
- Je sais ça a l’air bizarre hein… (mets-en) mais je ressens une immense fatigue dans les épaules.
- Mal aux épaules aussi?
- J’ai de la difficulté à dormir, je tremble et je crois que je suis stressée.
- Et ben coudons, on va vérifier ça Madame Grenon.
Alors, voici les symptômes que j’avais moi-même dépistés : douleurs musculaires aux bras et aux épaules, nausées nocturnes, difficultés à dormir, difficultés de concentration, maux de cœur en voiture et fatigue extrême.
Si on tape tout ça sur Google ça donne : …. rien, rien pantoute.
Dans le monde réel, ça veut dire : bilan sanguin complet.
Évidemment, mon docteur m’a examinée de la tête aux pieds. J’ai aussi répondu à toutes ses questions qui portaient surtout sur mon mode de vie. Ah et puis au fait, je n’étais pas enceinte.
De toute façon, comme je ne suis pas entrée dans son bureau en crise de larmes, elle ne va pas penser que je suis en dépression. Mais bon, quand même, pour ma propre gouverne, je lui demande, à tout hasard : « Est-ce qu’il se peut que je fasse une dépression sans nécessairement avoir envie de pleurer à fendre l’âme ? »
- D’ordinaire, les patients entrent dans le bureau avec le kit dépressif au complet incluant la méga crise de l’arme. Il se peut cependant qu’il en soit autrement avec toi.
J’y réfléchis une fraction de seconde. Je n’ai pas nécessairement envie d’être dif-fé-ren-te moi. Alors, comme le cerveau retient ce qu’il veut bien comprendre. J’en conclus que je ne suis surtout pas en dépression.
C’est réglé. J’ai une maladie PHYSIQUE, pas MENTALE là.
Je reverrai mon médecin dans trois semaines. Entre temps, pas question de retourner au travail. Repos, qu’elle dit.
Qu’est ce que j’ai alors? De retour à la maison, je me mets à surfer sur internet. Mes recherches m’amènent sur des sites de maladies neurologiques. Non, mais il en sait en titi des choses Monsieur Google. Selon son expertise, il se pourrait très bien que ce soit la sclérose en plaques ou autres maladies du genre. Non, mais j’invente rien, c’est écrit sur mon écran d’ordi!!!
Évidemment, je ne suis pas folle. N’allez pas croire que j’aimerais mieux avoir une maladie grave que d’être en dépression. Quoique…… ce serait moins honteux. Ç’aurait l’air moins faible, psychologiquement parlant, aux yeux des collègues et du patron. J’aurais une raison « sérieuse » d’être absente. Ma fatigue et tous mes symptômes seraient beaucoup mieux justifiés ainsi.
Je vous le dis, je me suis fait toutes sortes de scénarios catastrophes pour être bien certaine que ce ne soit pas une dépression ou quoi encore… ah oui… un burn-out.
Juste parce que mon petit doigt me dit que mon raisonnement n’a pas d’allure je garde pour moi, mes diagnostics maisons.
***
3 semaines plus tard…. après m’être étourdie…. Euh… reposée.
J’attrape un virus deux jours avant de revoir mon médecin. Rien de grave, mais on sait tous que des ganglions enflés dans le coup ce n’est pas ce qu’il y a de plus confortable. Vous vous imaginez bien que ma visite médicale visait aussi à me faire soigner les deux balles de golf qui avaient élu domicile dans ma gorge.
Nous sommes assises face à face
- Comment ça va?
- Ça va pas ben ben mieux.
Imaginez-moi avec l’air penaud, les yeux dans l’eau et le nez complètement bouché.
- Est-ce que tu as tendance à te faire des scénarios dans ta tête?
- Scénario???? Qu’est ce que tu veux dire?
Elle poursuit : « Par exemple, en t’en venant ici en auto, as-tu pensé qu’il pourrait y avoir un accident ou quelque chose du genre? Que ton chum ait un malaise…»
Et là je me suis dit : est ce que je lui dis que je me suis fait du sang de cochon depuis deux jours parce que je m’étais imaginé que pour toutes sortes de raisons, mon médecin ne serait pas au rendez-vous cet après-midi et que si elle n’était pas là … je ne saurais pas ce que j’ai et que si et que ça…. Vous savez, je suis la championne des scénarios catastrophes. Je peux vous en inventer un sur le champ!
L’heure n’était toutefois pas aux inventions. Je n’avais surtout pas envie de rester empêtrée dans ma fatigue alors j’ai lâché le morceau. Je lui ai donc avoué que je m’étais mise à imaginer toutes sortes de scénarios l’empêchant de pouvoir me rencontrer cette journée-là.
Calme, pondérée et avec une certaine fermeté mon doc me dit : « Tu fais de l’anxiété ».
- Ben là…(elle vient de quelle planète?) tout le monde fait ça de l’anxiété!!! Ce n’est pas une raison pour arrêter de travailler.
Je lui demande ensuite: « Est-ce que c’est un burn-out ?»
- Mouin, on peut dire ça… mais si j’écris burn-out sur tes papiers d’assurance, ils ne vont pas accepter le diagnostic. Je dois écrire « Trouble de l’adaptation et anxiété ».
Imaginez mon expression, nez retroussé, sourcils froncés comme si elle venait de me dire un mot scandinave que je ne comprends pas. Quessé ça, trouble de l’adaptation?
O.K.. Je me sens comme dans la craque du plancher. Pas assez dépressive pour être en dépression. Pas en burn-out parce que le travail n’est pas uniquement la cause de mon épuisement. Je suis dans le « trouble ». Pas adaptée….pas adaptée à quoi ?….la société?… j’ai échoué?….je n’ai pas été capable de reprendre le boulot comme toutes les autres nouvelles mamans?
Elle poursuit
- Qu'est-ce que ça te fait que je te dise ça? Es-tu d’accord avec le diagnostic?
NON……. ben oui… je sais plus.
- Tsé doc…. J’ai vécu plein de choses au cours des dernières années. Si j’avais eu à me « péter » la tête sur les murs à cause du stress, je l’aurais fait bien avant.
- C’est une accumulation de chose Julie. Ton corps est toujours en mode panique et il n’est plus capable de revenir à la normale.
Bon d’accord, ce n’est pas moi le médecin. Docteur Google s’est lui aussi trompé. L’écoeurant!!!
Tout d’un coup….. CATASTROPHE. Ah non! Je braille pis j’arrête pas en plus. Une vraie fontaine de Trevi. J’ai pris d’assauts la boîte de kleenex et si j’avais pu, je me serais étendue sur le plancher de la salle d’examen. Non, mais ç’aurait été beaucoup plus confortable pour répandre mon torrent de larmes. Je peux vous certifier que ma réaction était aussi inattendue que mon diagnostic… Sans farces, je me doutais bien qu’un moment donner mon presto allait sauter, que je finirais par brailler toutes les larmes de mon corps. Le hic, c’est que ça n’arrive jamais au bon moment. Les rendez-vous médicaux ne sont pas aussi longs que ceux chez le psy. Tu dois donc faire ça court. Une grosse braille intense puis ressaisis-toi…. RESSAISIS - toi Julie!!!! J’y arrive de peine et misère.
Or donc me voici donc « troublée », « inadaptée » et « anxieuse ». Voyons donc. On n’entend jamais parler de ça : trouble de l’adaptation.
Pendant que mon médecin sort sa poubelle de sous son bureau pour que je puisse y jeter ma brassée de Kleenex, elle m’explique qu’il y a un médicament pour m’aider.
Elle a bien dit MÉDICAMENT. Ils ont le tour de nous la présenter cette fameuse catégorie de médicament. Vous me voyez venir. Dans le langage populaire, on les appelle les antirépresseurs. Vous vous souvenez des Prozacs que Môman prenait dans la P’tite Vie. Oui oui je sais, c’est une comédie. Ils exagèrent la réalité.
Elle poursuit
- Ce sont des Effexor. J’ai choisi celui-ci parce qu’il agit plus rapidement sur l’anxiété que d’autres.
« Effexor, Effexor » C’est de ce médicament que l’animateur Paul Arcand parle dans son film. Le mois dernier on ne parlait que de ce documentaire dans les médias. Les Québécois consomment semble-t-il énormément de médicaments, surtout des antirépresseurs. Le médicament qui est prescrit à tous ceux qui semblent se pointer chez leur médecin avec le moindre signe d’épuisement.
Comme je suis journaliste, je ne peux pas m’empêcher de poser la question, tout en sachant que ma crise de larmes m’avait fait perdre un peu de crédibilité.
- C’est bien de ce médicament dont parle Paul Arcand dans son documentaire?
Mon doc lève les yeux au ciel. Je comprends qu’elle questionne les propos tenus dans ce film bien qu’elle m’avoue ne pas l’avoir vu.
Selon elle, dans bien des cas, l’Effexor est nécessaire et thérapeutique. J’ai envie de la croire. Ai-je le choix? De toute façon, je me dis qu’elle ne me les fera pas avaler de force.
C’est MOI qui déciderai quoi faire avec la prescription !!!
Voilà… la suite une prochaine fois!
Ciao xx